Pouvez-vous nous rappeler la genèse du SPSTN (Service de Prévention et de Santé au Travail National) dédié au secteur de l’emploi à domicile ?
Julie L’Hotel Delhoume : Tout commence avec la loi du 20 juillet 2011, relative à l’organisation de la médecine du travail. Cette loi a rendu applicable, aux salariés du particulier employeur, les dispositions de droit commun, concernant la surveillance médicale de tous les salariés.
Les acteurs de la branche, c’est-à-dire les organisations syndicales représentatives des salariés du secteur, et la Fepem, qui porte la voix des particuliers employeurs, œuvrent alors de concert, pour que la loi prenne en compte la singularité du modèle de l’emploi à domicile. Avec succès : le législateur leur reconnaît la faculté de déroger à la loi par accord paritaire, afin d’établir leurs propres modalités d’organisation de la santé au travail.
C’est alors le coup d’envoi des réflexions et discussions paritaires, qui aboutiront à construire le futur service de prévention et de santé au travail de notre secteur, qui est donc officiellement lancé depuis 6 jours !
Les étapes clés de ce dialogue social de branche, s’échelonnent entre deux textes conventionnels fondateurs et créateurs de droits nouveaux : le premier accord paritaire de 2016, préfigurateur de l’APNI (l’Association Paritaire Nationale Interbranche, véritable charnière du futur dispositif), et l’accord paritaire sectoriel de mai 2022, qui en est l’aboutissement.
Quelles sont les principales missions du SPSTN ?
Julie L’Hotel Delhoume : Trois principes directeurs, ont nourri le dialogue social entre les partenaires sociaux, pour bâtir ce service de santé au travail du secteur de l’emploi à domicile :
- D’abord, il faut garantir la sécurité juridique des 3,35 millions de particuliers employeurs, qui portent depuis la loi de 2011, la responsabilité de la santé au travail de leur salariés. Il s’agit de les mettre en situation de remplir leurs obligations légales, tout en leur simplifiant au maximum les démarches.
- Ensuite, nous voulions une stricte égalité dans l’effectivité des droits des 1,2 million de salariés, partout en France et quel que soit leur métier : assistants de vie, assistants maternels, gardes d’enfants, employés familiaux, etc.
- Enfin, un haut degré de solidarité et de mutualisation des coûts est aussi essentiel, pour que l’accès au service de santé au travail soit viable et soutenable pour les particuliers employeurs.
Éric Louche : Le SPSTN intervient sur les mêmes missions que les autres services de santé au travail.
- En premier lieu, nous suivons l’état de santé des salariés, via l’organisation des visites médicales au moment de l’embauche, ou de reprise après un arrêt prolongé.
- Nous assurons également une mission de prévention : anticipation des risques métier, accompagnement des salariés, et mise en place d’actions préventives, ainsi qu’un rôle de vigie sanitaire plus large, sur les risques psychosociaux ou physiques.
- Notre troisième rôle essentiel est de prévenir la désinsertion professionnelle : avant qu’un problème de santé n’empêche irrémédiablement un salarié de poursuivre son activité, nous intervenons pour trouver avec lui des solutions adaptées.
Quels sont les enjeux spécifiques auxquels le SPSTN doit répondre et les défis auxquels il doit faire face ?
Julie L’Hotel Delhoume : Dans le cadre d’une relation de travail, tout employeur est censé mettre en place les moyens nécessaires pour garantir la santé et la sécurité au travail de son salarié. Cependant, le particulier employeur ne dispose pas des moyens et compétences d’un service RH comme une entreprise, pour répondre à de telles obligations !
Le dispositif de santé au travail du secteur de l’emploi à domicile, a été conçu pour prendre en compte ces contraintes et ces spécificités.
Ainsi, c’est le particulier employeur qui donne mandat à l’APNI (Association Paritaire Nationale d’Information et d’Innovation), pour qu’elle agisse en son nom, afin de mettre en œuvre le suivi de l’état santé et la prévention des risques professionnels des salariés. L’APNI adhère ensuite au SPSTN, et prend également en charge les frais occasionnés pour le salarié par les visites médicales, ainsi que leur remboursement.
Concrètement, chaque particulier employeur effectuant directement, ou indirectement par le biais d’une structure mandataire, une déclaration simplifiée via le Cesu, Pajemploi ou ASAP (Aide et services à la personne) bénéficie, à compter du 2 janvier 2025, de ce dispositif de santé au travail.
« Avec le SPSTN, tout a été pensé pour réduire au maximum la charge administrative et mentale des particuliers employeurs, en leur facilitant les démarches ! »
Julie L’Hotel Delhoume
La démographie des salariés du secteur de l’emploi à domicile est également particulière : marquée par le multi-emploi, le multi-salariat, la diversité des emplois exercés, ou encore l’activité à temps partiel. Cette population salariée est aussi plus âgée en moyenne que le reste de la population active, avec une part importante de recours au cumul emploi-retraite. Le grand défi du secteur est d’ailleurs l’attractivité : 800 000 postes sont à pourvoir d’ici 2030 pour pallier les départs en retraite et répondre aux besoins de la population française, elle-même vieillissante.
Ainsi, en permettant d’identifier plus finement les risques professionnels pour bâtir des actions de prévention sectorielle, le SPSTN contribuera au maintien dans l’emploi des salariés du domicile et favorisera la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Éric Louche : Nous rencontrons un défi opérationnel, avec la gestion d’un périmètre national inédit, qui couvre 18 régions dont les 5 départements et régions d’outre-mer. Cela implique une organisation adaptée, avec un déploiement progressif et séquencé, territoire par territoire, pour éprouver nos outils et garantir une couverture efficace.
Par ailleurs, nous voulons recruter des talents en leur offrant un cadre de travail qui donne envie de s’investir sur le long terme, dans un contexte général de pénurie des professionnels de santé, qui touche aussi la médecine du travail.
Nous faisons également face à un défi technologique avec l’intégration de la téléconsultation dans le suivi des salariés : d’après une étude sanitaire menée par l’institut CSA pour le SPSTN, 2/3 des salariés interrogés y sont favorables. Il s’agit de répondre à leurs attentes !
Concernant les consultations en présentiel, nous souhaitons confier leur réalisation à l’ensemble des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) implantés en région, dont l’expertise n’est plus à prouver. Nous sommes déjà en lien avec plusieurs d’entre eux pour établir des conventions de partenariat.
Un mot sur le modèle économique, comment le dispositif de prévention des risques et de santé au travail est-il financé ?
Julie L’Hotel Delhoume : Selon le souhait des partenaires sociaux, la contribution santé au travail repose sur un haut degré de solidarité, avec une approche à la fois proportionnelle et forfaitaire de mutualisation des coûts.
Théoriquement, le montant de cette contribution est défini par un arrêté, mais en pratique, la Fepem a fait le choix qu’il soit positionné en dessous de ce seuil, afin d’être réellement accessible à tous les particuliers employeurs.
Aujourd’hui, le montant de la cotisation est fixé à 2,7 % du salaire brut mensuel, par bulletin de salaire et est plafonné à 5 € par mois. Ceci correspond donc pour l’employeur, à une dépense maximum de 60 € par an et par salarié. Ainsi ceux qui ont recours à un nombre d’heures de travail élevé – notamment les personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie – ne sont pas pénalisés. De plus, cette somme est éligible au crédit d’impôt.
Cette contribution santé au travail servira à financer la cotisation des particuliers employeurs dûe au titre de l’adhésion, mais aussi le défraiement des salariés pour leur participation aux visites médicales et enfin, les actions de prévention collective des risques professionnels.
« Dès à présent, nous encourageons les particuliers employeurs de salariés déjà suivis en 2024 par un SPSTI à nous contacter, afin d’assurer la continuité du suivi de leur état de santé au travail au 0 986 865 865.»*
Éric Louche
*prix d’un appel local
Opérationnellement quelles seront étapes du déploiement du SPSTN en 2025 ?
Éric Louche : Le centre de contact est ouvert depuis le 2 janvier, 8h30. Le nombre conséquent d’appels confirme que l’attente des salariés et des particuliers employeurs était forte. Toutes nos équipes sont mobilisées pour leur répondre du mieux possible et des recrutements sont en cours pour renforcer notre centre de contact.
Dans les prochaines semaines, nous serons en capacité de réaliser les premières visites médicales à la demande quel que soit le lieu de domicile du salarié.
Puis, nous prévoyons un déploiement en région qui débutera à l’été 2025 pour une durée d’environ 2 ans. Cela nous permettra d’aller progressivement vers les salariés dans chaque territoire.
Comment voyez-vous l’avenir du SPSTN et dans quel état d’esprit êtes-vous quelques jours après son lancement ?
Julie L’Hotel Delhoume : Que la santé au travail démarre en ce début d’année 2025 est un motif de fierté pour l’ensemble des partenaires sociaux de l’emploi à domicile, qui ont œuvré dans un esprit de co-construction innovante, pragmatique et à fort enjeu sociétal.
Le dispositif mis en place est en quelques sortes un prototype de ce que l’intelligence collective et la maturité du dialogue social peuvent créer à l’échelle de tout un secteur professionnel. Cela nous conforte et nous donne confiance en notre capacité à relever les défis de demain !
Éric Louche : Je vois l’avenir du SPSTN comme une formidable opportunité de répondre aux enjeux cruciaux de la santé au travail dans un secteur aussi essentiel que celui de l’emploi à domicile.
C’est un projet ambitieux et je l’aborde avec beaucoup d’humilité : nous sommes conscients de l’ampleur des défis qui nous attendent, qu’ils soient opérationnels, humains ou technologiques. Construire un service national en partant d’une page blanche, c’est avancer pas à pas, avec la volonté d’apprendre, d’ajuster et de nous améliorer constamment.
En même temps, je ressens une énergie immense ! Nous sommes portés par la conviction du sens de notre mission et de son impact.