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Cumul activité-retraite des salariés à domicile : un enjeu pour le secteur et pour la société 

Saviez-vous que le quart des retraités du régime général qui continuent à travailler sont des salariés au domicile d’un particulier employeur ? Ces professionnels sont concernés au premier chef par la réforme en cours. Michaël Christophe, délégué aux affaires publiques de la Fepem, et Isabelle Puech, directrice de l’Observatoire de l’emploi à domicile, font le point sur les enjeux « retraite » du secteur des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile. 

 

Vers des transitions plus longues entre carrière et retraite

Quoi qu’il advienne de la réforme des retraites actuellement en discussion, la plupart des Français en activité vont être amenés à travailler plus longtemps dans les années qui viennent. Pourquoi ? D’abord parce que la durée de cotisation s’est déjà allongée avec les précédentes réformes, élevant mécaniquement le taux d’emploi des seniors en France. Parallèlement, l’âge de début de carrière a continué à augmenter. Mathématiquement, l’âge moyen de départ à la retraite va donc s’élever.  

Par ailleurs, le passage à la retraite s’accompagne généralement d’une baisse des revenus. Souvent, les travailleurs arrivant à l’âge de la retraite sans avoir cotisé tous leurs trimestres sont confrontés à un dilemme : arrêter plus tôt avec une pension moindre, ou continuer à travailler quelques mois ou années de plus pour maintenir leur niveau de vie.  

Dans ces conditions, un nombre croissant de seniors reprennent une activité à temps partiel après avoir liquidé leurs droits, afin de cumuler des revenus du travail avec la pension de retraite. C’est le choix que font déjà près de 500 000 retraités, dont environ le quart sont des salariés de particuliers employeurs.  

 

Pourquoi le cumul emploi-retraite est-il si répandu dans les métiers de l’aide à domicile ?

« Notre secteur est souvent un secteur d’activité de complément, commente Michaël Christophe. Les salariés commencent dans ce domaine, continuent ailleurs, ou à l’inverse se reconvertissent en fin de carrière dans ces métiers. Souvent, ce n’est pas leur seule activité. C’est pourquoi nous préférons parler de “cumul activité-retraite”. Il s’agit souvent de personnes qui ont besoin de compléter leur pension. Mais ce sont aussi des métiers où le lien humain est très important : les employeurs insistent souvent pour retenir la personne qui garde leurs enfants ou leurs parents ». 

« Selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse, le quart des retraités du régime général qui cumulent emploi et retraite travaillent au domicile d’un particulier employeur », explique Isabelle Puech. « Environ 120 000 personnes bénéficient d’une retraite complémentaire gérée par l’Ircem – le groupe de protection sociale du secteur – et sont salariés de particuliers employeurs. Au total, près d’un salarié du particulier employeur sur dix est retraité, un retraité qui travaille le plus souvent à temps partiel. »   

 

Qui sont les salariés concernés par le cumul activité retraite ?

« France Stratégie a identifié 4 profils de personnes parmi celles qui cumulent emploi et retraite en France », poursuit Isabelle Puech : 

  • des femmes peu qualifiées qui perçoivent de faibles pensions de retraite en raison de carrières interrompues par des périodes de maternité ou de chômage, marquées par des emplois à temps partiel ; 
  • des profils d’indépendants qui ont des charges importantes, comme des commerçants par exemple qui doivent vendre leur commerce ; 
  • les agriculteurs, qui sont confrontés aux mêmes types de contraintes que les commerçants ; 
  • les professions libérales qui ont de hauts revenus. » 

Dans le cas des retraités qui travaillent pour des particuliers employeurs, il peut s’agir de « travailler quelques heures pour maintenir un lien social, compléter des montants de pension faibles ou faire face à de nouvelles charges comme par exemple la nécessité de financer la perte d’autonomie d’un proche. Les particuliers employeurs sont fréquemment à la recherche de ce type de profils : les retraités inspirent confiance, ils ont une expérience de vie et sont disponibles – par exemple pour récupérer les enfants à la sortie de l’école ou pour accompagner à domicile des personnes âgées. » 

Selon Isabelle Puech, « les femmes du secteur qui pratiquent le cumul activité-retraite sont en moyenne plus âgées que les autres « cumulantes ». Elles reprennent un travail plus vite après leur retraite, et conservent leur activité plus longtemps (un peu moins de 4 ans contre un peu moins de 3 ans en moyenne selon la Cnav). » 

Michaël Christophe évoque un autre cas de figure. Il cite « l’exemple d’un chauffeur routier qui a suivi une formation d’assistant de vie pour être en mesure de s’occuper de son propre père. C’est la fusion du proche aidant et du professionnel de l’accompagnement des personnes âgées. » C’est une forme de cumul emploi-retraite qui pourrait se développer. 

 

Quelles sont les demandes de la Fepem pour développer le cumul activité retraite ?

La réforme actuellement en discussion à l’Assemblée nationale est l’occasion pour la Fepem de lever les freins au développement du cumul activité retraite. Il y en a principalement deux. 

Le délai de carence

Dans le système actuel, les salariés qui liquident leur retraite sans avoir validé tous leurs trimestres (retraite avec décote) ne peuvent reprendre une activité qu’à certaines conditions. D’une part, leur nouveau revenu est plafonné. D’autre part, ils doivent attendre un délai de 6 mois avant de pouvoir retravailler pour le même employeur. Or, les salariés à domicile ont souvent des parcours hachés et sont souvent concernés par la retraite avec décote, et donc par cette limitation.  

« Si un salarié annonce qu’il ne pourra pas reprendre son activité pour son employeur avant 6 mois, analyse Michaël Christophe, il y a de grandes chances pour que le particulier employeur soit contraint d’embaucher quelqu’un d’autre, ou qu’il garde le salarié mais en cessant de le déclarer, ce qui n’est dans l’intérêt de personne ». Or, la lutte contre le travail non-déclaré est un enjeu important dans le secteur. L’avance sur le crédit d’impôt accordée aux employeurs représente un progrès important, qu’il convient de soutenir et de renforcer. 

Pour Michaël Christophe, « la réforme pourrait être l’occasion de supprimer ce délai obligatoire. Nous avons approché l’Assemblée nationale à ce sujet. Il y a une difficulté : le texte de réforme est un texte budgétaire, un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif. En principe, aucun amendement ne peut avoir pour conséquence de créer une nouvelle charge pour l’Etat. Or en facilitant le cumul emploi-retraite, on incite les salariés à prendre leur retraite, ce qui accroît les dépenses du système. Nous allons travailler avec les sénateurs à trouver une solution à cette difficulté. » 

 

Des cotisations à fonds perdus

Un second problème entrave le développement du cumul emploi-retraite. Depuis la réforme de 2014, les cotisations versées dans le cadre d’une reprise d’activité après la retraite ne confèrent aucun nouveau droit à pension. « Selon une étude du Conseil d’orientation des retraites de 2018 portant sur 11 pays de l’OCDE, la France apparaissait comme le seul pays qui ne valorisait pas les cotisations post-retraite. C’est une sorte de surcote négative : le retraité actif est astreint à des cotisations qui grèvent son revenu sans accroître ses droits futurs ».  

La Fepem souhaiterait que les salariés à domicile puissent bénéficier d’une dérogation, « au même titre que certaines catégories d’actifs, comme les médecins qui s’installent dans les déserts médicaux ».  

Le projet de réforme ne répond que partiellement à cette attente. En l’état, il est proposé que les salariés puissent accumuler de nouveaux droits s’ils travaillent après avoir pris leur retraite, à deux conditions : qu’ils aient validé tous leurs trimestres, et qu’ils respectent ce fameux délai de carence de 6 mois avant de travailler à nouveau pour le même employeur.  

 

Le secteur de l’emploi à domicile représente « 800 000 emplois à pourvoir d’ici à 2030, rappelle Michaël Christophe, dont 130 000 seront des créations nettes répondant à des nouveaux besoins liés au vieillissement de la population ». Il s’agit, de plus, de métiers porteurs de sens. Tout ce qui peut contribuer à développer l’emploi dans le secteur devrait donc retenir l’attention des autorités. Le cumul activité-retraite dans les métiers de l’emploi à domicile représente une formule d’avenir, et il faut espérer que les freins qui persistent à son développement seront levés.  

Délégué aux affaires publiques de la Fepem

Michaël Christophe

Directrice de l’Observatoire de l’emploi à domicile

Isabelle Puech

Équipe éditoriale de la Fepem