Texte de consensus
Adopté le 29 juin 2023
« Travail, emploi, domicile :
incubateur(s) d’une migration citoyenne inclusive ? »
Réunis au Havre les 28 et 29 juin 2023 à l’initiative de la Fédération des Particuliers Employeurs de France et du secteur de l’emploi à domicile, vingt-quatre intervenants, chercheurs, acteurs de la société civile, tous experts de ces différents domaines se sont saisis de cette question.
Les mouvements migratoires ont façonné l’histoire de l’humanité ; leur amplification à l’échelle mondiale les place aujourd’hui au coeur du débat public. Acteur de la société civile, le secteur de l’emploi à domicile intègre depuis son origine des personnes migrantes1. Aujourd’hui, il emploie deux fois plus de salariés nés à l’étranger que la moyenne, dont majoritairement des femmes. Pour relever le défi démographique, le secteur anticipe les besoins d’accompagnement et s’organise pour contribuer à l’intégration durable de ses salariés dans un contexte de passage d’une migration de travail à une migration d’installation.
Les travaux conduits au cours de cette conférence nous permettent de procéder à un état des connaissances, précis et fondé scientifiquement, sur ce sujet complexe et controversé. La migration joue un rôle moteur dans la croissance de la force de travail de la plupart des pays d’Europe, dont une part importante est confrontée à des pénuries de main d’oeuvre. Concentrées dans les pays aux revenus élevés, les personnes migrantes, dont une part croissante de femmes, occupent des fonctions essentielles dans des secteurs primordiaux tels que les services aux particuliers, la santé, les transports, etc. Leur travail génère des ressources supplémentaires pour le pays d’accueil comme pour le pays d’origine. L’activité des femmes migrantes est de surcroît source d’intégration, par rebond, pour leurs enfants et plus largement pour leur famille et leur communauté. En cela, il s’agit bien d’une migration caractérisée par la réciprocité.
Pour les personnes migrantes, le travail peut être source d’émancipation et d’inclusion dès lors que leurs droits fondamentaux sont assurés et respectés et que de réelles opportunités d’emplois leur sont proposées. Reconnaître et encadrer le travail effectué par un statut d’emploi sécurisé et sécurisant est un premier impératif.
Des conditions d’emploi favorables sont indispensables, mais non suffisantes. Au niveau individuel, la qualité de la relation entre l’employeur et le salarié est également déterminante. Dans le secteur de l’emploi à domicile, cette relation est caractérisée par deux éléments qui font sa singularité : pour l’essentiel il n’y a pas d’intermédiaire entre le particulier employeur et le salarié ; le travail réalisé s’effectue au sein d’un domicile.
Le domicile n’est pas un lieu de travail neutre : il est le refuge en même temps que l’espace de liberté et d’autonomie de celui qui l’habite. Territoire privé, il est le lieu de la vie personnelle, familiale et intime. Il est aussi le lieu d’ancrage où l’on met en récit tous les lieux que l’on a traversés, où l’on construit et où l’on met en scène la cohérence de son histoire.
Dans le cadre d’une trajectoire de migration qui comprend souvent des épisodes difficiles, avoir un domicile où l’on peut être soi-même, vivre sa culture (religion, cuisine, musique, manières de vivre…), permet de créer les conditions d’un ré-enracinement et d’un rétablissement. Un chez-soi conditionne l’intégration à tel point que celui-ci pourrait constituer la première étape et non l’aboutissement et la finalité du parcours d’intégration des personnes migrantes dans le pays d’accueil.
Le domicile constitue, également en tant que lieu de travail, un espace apprenant particulièrement riche pour les personnes migrantes, où elles que le travail auprès du ménage employeur s’effectue dans sa sphère intime, la personne migrante est conduite à mobiliser à l’occasion de son travail des savoirs informels et expérientiels pour s’adapter à la situation de la personne qu’elle accompagne.
Toute relation à l’autre pouvant être porteuse de rejet comme d’acceptation, de méfiance ou de confiance, de peur ou d’intérêt, la posture de l’employeur, comme d’ailleurs celle de la personne migrante, sont décisives. Si l’intérêt et la tolérance prennent le pas, la confiance peut naître et cette rencontre dans le travail au domicile peut être source d’enrichissement mutuel. Les savoirs produits s’enracinent alors dans les émotions, et permettent justement à la relation de se nouer, puis à un dialogue de s’instaurer, favorisant les apprentissages et la construction de compétences interculturelles.
On perçoit ici le rôle clef du domicile ou plutôt des domiciles, d’une part le domicile du particulier employeur comme lieu de travail et d’apprentissage culturel pour les personnes migrantes, d’autre part le domicile de ces personnes comme lieu d’enracinement et de transmission culturelle, favorisant l’intégration de leurs proches dans le pays d’accueil.
Ainsi, le secteur de l’emploi à domicile offre un cadre d’intégration privilégié à la double condition de renforcer l’apprentissage de la langue française et d’agir de façon cohérente sur trois champs étroitement articulés :
- Le domicile au sens de l’« habiter », entendu comme l’investissement du lieu de vie, condition du développement de la vie sociale ;
- Le travail, dans ses dimensions apprenante, socialisatrice et émancipatrice qui peut trouver un cadre de réalisation privilégié dans les métiers du care2 ;
- L’emploi, et son cadre managérial, garant de conditions de travail mais aussi de conditions de vie décentes, qui sécurise des trajectoires souvent heurtées et participe à l’acquisition de la citoyenneté et au « vivre ensemble ».
Pour construire des solutions permettant l’intégration pérenne des personnes migrantes, le secteur de l’emploi à domicile, fort d’un dialogue social constant et innovant, s’engage à agir et à promouvoir l’exemplarité, sur plusieurs leviers :
- Poursuivre l’effort de reconnaissance du modèle d’emploi et de structuration du secteur comme vecteur d’intégration
- Identifier, reconnaître et valoriser les savoirs expérientiels développés au domicile et les compétences acquises antérieurement dans le pays d’origine dans un but d’insertion sociale, d’intégration et de mobilité professionnelles
- Faire reconnaître et affirmer les emplois du domicile pour favoriser leur attractivité
- Structurer et développer les initiatives locales favorisant l’intégration des personnes migrantes
- Faciliter la rencontre entre l’offre et la demande d’emplois à domicile, en développant la mise en réseau des particuliers employeurs et des personnes migrantes, au sein du Lab Migration sectoriel
- Aider les employeurs à développer des compétences en matière de management du travail (recrutement, discussion à propos du travail et de son évaluation…) tout en prenant la mesure des situations et caractéristiques particulières des personnes migrantes.
Travail, emploi et domicile sont des incubateurs d’une migration citoyenne inclusive et portent l’essentiel de la cohésion sociale du XXIe siècle.
1) Le terme de « personne migrante » a été retenu dans le cadre de ce texte de consensus. Selon les Nations Unies, celui-ci désigne « toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer ». Il a été préféré aux termes « immigré » ou « migrant » en raison de deux facteurs : le terme « migrant » est un terme générique sans valeur juridique plus neutre que le terme d’« immigré » qui a une connotation politique marquée, notamment en France ; parler de « personnes migrantes » met l’accent sur les réalités humaines d’un phénomène souvent appréhendé de façon globale et désincarnée. Par ailleurs, le terme « migrant » seul renvoie une image masculine quand le terme « personne migrante » représente l’ensemble des personnes concernées. 2) La notion de care compte quatre dimensions intrinsèques qui induisent des compétences professionnelles spécifiques : se soucier de prendre en charge, prendre soin, recevoir le soin.