Le 12 avril dernier, l’avis intitulé « La prévention de la perte d’autonomie liée au vieillissement » a été adopté par le Conseil économique, social et environnemental. Michel Chassang, son rapporteur, a accepté de répondre à nos questions pour en détailler les contours, car les constats et les conclusions de l’avis sont édifiants et appellent un changement de modèle. Quel doit être le rôle des politiques publiques ? Comment réagit la branche professionnelle ? A la suite de l’interview, Pierre-Olivier Ruchenstain, directeur général exécutif de la Fepem souligne l’importance de ce rapport et les réponses apportées par le secteur des particuliers employeurs.
Michel Chassang, pouvez-vous nous indiquer le contexte de l’avis dont vous avez été rapporteur au CESE, au nom de la commission des Affaires sociales et de la Santé ?
Le contexte actuel est assez simple à faire : nous sommes face à une urgence, de plus en plus prégnante, car nous sommes confrontés à un choc démographique majeur. La population des plus de 60 ans est très importante, nous atteindrons les 20 millions en 2030 ; sans compter la seconde vague qui arrive avec les plus de 80 ans, qui seront de plus en plus nombreux. Dans ses projections, l’Insee indique d’ailleurs que sur 70 millions de Français en 2030, 12,2 % seront âgés de 75 ans ou plus.
On peut mettre en place des dispositifs visant à permettre de vieillir en bonne santé, mais nous savons que si l’espérance de vie continue de progresser, en revanche l’espérance de vie en bonne santé, quant à elle, a hélas tendance à stagner.
Si nous prévenons par des mesures simples et appropriées, nous pouvons permettre aux gens de vieillir en retardant, en limitant la perte d’autonomie. Vieillir est inéluctable. En revanche, être dépendant n’est pas une fatalité et nous avons identifié les besoins pour mieux les financer.
Afin de mieux prévenir la perte d’autonomie liée au vieillissement, le CESE porte un certain nombre de préconisations. Deux d’entre elles abordent le recrutement dans les métiers de l’accompagnement et le soutien des aidants, pouvez-vous nous en préciser la teneur ?
Je confirme que la plupart des personnes souhaitent vieillir à domicile. C’est une réalité. Or, je dirais que prévenir c’est mieux que guérir, mais accompagner c’est prévenir. Encore faut-il pouvoir rester à domicile.
Sur ce point, il est nécessaire de réunir les conditions suivantes selon moi : avoir été en mesure à un instant T de repérer, d’identifier et d’apporter des réponses aux fragilités physiques et psychiques, liées à l’entourage de la personne concernée, au cadre de vie, à ses proches…
L’outil ICOPE porté par l’Organisation mondiale de la Santé et qui a pour objectif de retarder la dépendance en repérant précocement les facteurs de fragilité chez les seniors, est largement développé et nous fournit des éléments intéressants : dès 60 ans, il permet une approche globale à la fois pour la prise en compte des sens, de l’entourage et de l’habitat des seniors.
A ce stade, les enjeux liés à l’habitat sont majeurs, mais sous-estimés de mon point de vue. Penser que l’on va vieillir dans la maison de son enfance est illusoire. On ne peut pas bien vieillir avec des équipements inadaptés et dans un habitat souvent ancien. Apporter un diagnostic préalable est essentiel sur ce point.
Et ensuite… comment faire les bons choix ? comment organiser le maintien à domicile ?
Sur l’accompagnement, il faut que le choix de la personne soit sacré, on n’a pas tous les mêmes objectifs. Certaines conditions doivent être mises en œuvre. Cela doit reposer sur l’humain, les intervenants professionnels au domicile sont hélas sous-considérés et sous-valorisés à la fois, alors qu’on leur confie nos aînés, ceux que nous avons de plus cher, il y a là une contradiction.
La carte professionnelle, dont il est question dans la proposition parlementaire de loi sur la société du bien vieillir n’est pas une mauvaise idée, comme la journée nationale du 17 mars en faveur de la reconnaissance des aides à domicile. Cependant, une discussion sur un quart d’heure, ce n’est pas possible !
De ce point de vue, il y a deux points forts de l’avis du CESE : Il ne faut pas une intervention inférieure à 1 heure au domicile ! Et pour les aidants, la prise en compte de l’entourage est déterminante : les générations ne vivent plus sous le même toit, la cellule familiale a éclaté, les aidants ont donc toute leur importance et leur rôle à jouer et il faut prendre en considération la question du repos, du répit des aidants. Par exemple, en alignant le congé aidant sur ce qui existe pour l’enfant malade en termes de durée et de niveau.
Enfin, nous sommes face à une crise de recrutement majeure avec de plus en plus de besoins et de moins en moins de ressources humaines.
Quel rôle le secteur de l’emploi direct peut jouer dans la prévention de la perte d’autonomie liée au vieillissement ?
Ce système permet à chacun d’être employeur et de choisir ses intervenants : c’est fondamental. Chez certaines personnes, la multitude d’intervenants, parfois dans la même journée, donne l’impression d’un hall de gare ! Chacun doit conserver le choix de son cadre.
C’est un complément au système de soins, il est parfaitement adapté pour permettre aux personnes en accompagnement de continuer à vivre au domicile. A un certain moment de la vie, un grain de sable fait tout dérailler : la chute est l’exemple le plus frappant. Cela entraîne un cercle vicieux qui peut conduire jusqu’à l’EHPAD, qui lui-même conduit à la fin de vie 18 mois plus tard en moyenne. Chute, prothèse de hanche, soins de suite et maison de retraite ! Il faut éviter cela ! Les assistants de vie ont un rôle majeur à jouer.
Le modèle de l’emploi direct et son accompagnement mandataire est simple, sans paperasse excessive, il est aidé par le crédit d’impôt, ce qui est essentiel. Le tout combiné fait que c’est un excellent modèle selon moi.
Pour en savoir plus, consultez l’avis sur « La prévention de la perte d’autonomie liée au vieillissement »
Qui est Michel Chassang, rapporteur de l’avis sur la prévention de la perte d’autonomie liée au vieillissement ?
Médecin généraliste en Auvergne, Michel Chassang, est engagé dans la vie syndicale depuis trente ans.
De 1986 à 2002, il préside le Syndicat des médecins du Cantal (CSMF), puis de 1993 à 2002, il est élu président de l’Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), la branche « médecins de famille » de la CSMF. De 2002 à 2014, il préside la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), et devient en 2007, président du Centre national des professions de santé (CNPS). Depuis 2013, il occupe les fonctions de président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL).
Michel Chassang a également été président de la Commission nationale paritaire de la convention médicale, membre de la Commission des comptes de la Santé, de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie, de la Conférence nationale de santé.
Il est l’auteur de nombreuses contributions et d’articles dans le domaine de la santé et de la protection sociale. Il est chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur et officier dans l’Ordre national du Mérite.
Au CESE, il préside le groupe des Professions libérales, et il est secrétaire du Bureau du CESE.
Questions à Pierre-Olivier Ruchenstain :
En qualité de directeur général exécutif de la Fepem, vous êtes en quelque sorte en première ligne de ce bouleversement démographique. Quels impacts produit-il sur le secteur de l’emploi à domicile ?
L’avis sur la prévention de la perte d’autonomie dont Michel Chassang était le rapporteur est très pertinent, car il fait les bons constats.
Selon moi, il y a deux points d’entrée dans la réflexion à conduire sur ce sujet : l’effet masse qui est double, concerne à la fois une population relevant des politiques publiques de l’autonomie et une population du 4e âge ; mais, il faut intégrer l’aspiration de nos concitoyens de rester à domicile, ils sont près de 90 % dans ce cas. Cela appelle un changement de modèle !
Au domicile privé, il faut absolument préserver l’espace du libre choix. La politique publique doit favoriser toutes les options pour permettre à chacun d’être accompagné : sur la prévention (notamment la mesure portant sur les 2 heures par semaine) et la perte d’autonomie.
La branche professionnelle du secteur des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile apporte des réponses aux tensions qui pèsent sur le recrutement. Pouvez-vous nous en donner les contours ?
La force de cet avis est d’aborder la prévention dans son ensemble. En effet, l’approche à 360 degrés privilégiée par Michel Chassang a permis de ne pas catégoriser en quelque sorte les réponses, mais justement de mettre en évidence des champs qui doivent communiquer entre eux, et même interagir ; ICOPE de ce point de vue est une expérimentation significative, suivie par les ARS en France.
Pour ce qui est du secteur de l’emploi à domicile, j’ai deux remarques : l’avis du CESE rappelle avec force le lien de corrélation entre la sociabilité qui passe par l’emploi à domicile et la prévention de la perte d’autonomie. Par exemple, les deux heures de lien social. Notre secteur est donc identifié par les acteurs institutionnels comme un acteur de la prévention de la perte d’autonomie. Et c’est majeur, surtout quand on connaît les difficultés pour les particuliers employeurs d’être identifiés et intégrés dans la politique publique.
Autre force de l’avis selon moi, c’est de distinguer les différents types d’intervention à domicile : le quart d’heure, c’est de la prestation. En emploi direct à domicile, les interventions ne se font jamais au quart d’heure et elles sont en moyenne rémunérées 2 à 3 euros au-dessus du SMIC. On n’a pas attendu l’inflation pour assurer un pied de grille salarial 2 % au-dessus du SMIC !
Justement, notre réponse très concrète, c’est d’avoir fusionné deux conventions collectives nationales en une seule. Entrée en vigueur en janvier 2022, elle crée des droits sociaux puissants, pour l’attractivité des métiers, complétée par des expérimentations (l’une sur l’apprentissage, l’autre sur l’intégration par le travail avec le Lab Migration pour l’emploi à domicile).
L’entretien du cadre de vie concerne une moyenne d’âge de 64 ans pour les particuliers employeurs qui ont un salarié à domicile, qui peut évoluer comme assistant de vie en se formant dans le secteur, à mesure que son employeur vieillit. Lors des discussions en commission, nous avions proposé d’abaisser l’âge à 65 ans pour l’exonération qui concerne les plus de 70 ans, mais cela n’a pas été retenu dans l’avis définitif. Pour sa part, la Fepem maintiendra cette position.
Directeur général exécutif de la Fepem
Porte-parole de la Fepem et membre du Conseil économique social et environnemental
Les chiffres du secteur sur l’autonomie :
Retrouvez tous les chiffres du secteur dans le dernier rapport sectoriel de l’Observatoire de l’emploi à domicile. Les salaires horaires pratiqués chez les particuliers employeurs, la formation des salariés, leur profil et leurs conditions de travail, l’évolution démographique des employeurs, etc.